Les Vieilles Chaînes Villefranchoises
1947 . Villefranche de Rouergue . A l'heure ou je prenais mes permiers biberons , une bande de copains , jetaient les bases du futur Moto-Club Rouergat . Tout démarra sous l'impulsion d'un photographe en retraite , Camille RIVIERE , ancien motard de la guerre 14/18 fidèle à son side-car Harley-Davidson et véritable "père" du Club. Les statuts sont déposés le 16 mars 1947 et Roger CALVIGNAC en devient le premier Président . Quelques rallyes , grass-track et moto-cross meublent les premières années . Hélas , lors d'un rallye à Montauban Camille RIVIERE trouve le mort au guidon de son Harley . En 1950 , J-B ORCIBAL devient le président du MCR et le circuit de vitesse est envisagé mais doit se limiter à une épreuve de régularité faute d'autorisation .......... mais déjà souffle le vent de la commpétition .
C'est en 1951 et sous la Présidence de Roland GAUCH , qui s'est déjà taillé un nom sur les circuit Français , que débute une merveilleuse aventure . Les autorisations sont demandées à temps, le paillage est confié à un paysan du coin et les quelques balustrades nécessaires ont louées à Montauban . Tout est prêt le 19 Août pour que puisse avoir lieu le premier Circuit de Vitesse de Villefranche . Trois catégories sont proposées au public 175/350/500 . L'on note , déjà , la présence de coureurs de premier ordre tels que COLLOT/HOUEL/BESSE/POST/GAURY . Les MONNERET père et fils qui sont inscrits font faux-bond mais qu'importe d'autres coureurs arrivent le jour même comme BAYLE et SECOUSSE . Quant à Roland GAUCH , président malheureux , mal remis d'une chute à Varen c'est la mort dans l'âme qui suit des tribures la compétition . En 175 c'est GAURY qui l'emporte , en 350 c'est HOUEL et en 500 COLLOT . Le spectacle a plu , le public est ravi . Mais le bilan financier est un désastre . Il faudra à l'avenir limiter certaines dépenses et mettre en place de solides structures dignes d'une telle manifestation .Durant l'hiver 1952 Roland GAUCH émigre à Toulouse et c'est Maître SINEGRE-DAVID qui signe un long bail à la tête du Club . Afin d'éviter un mélange des caisses un comité indépendant d'organisation du circuit est mis en place . Des noms nouveaux apparaissent comme Jean ESPEILHAC qui lors du premier circuit était venu préter main forte la jambe dans le plâtre . Il va se voir confier la composition du plateau et ce jusqu'en 1958 . On sollicite mais sans résultat les autorités . Plus de location de balustrades : il faut les fabriquer . On abat des arbres , on les scie , les planches sont clouées lors de veillées familiales . Les volontaires ne sont pas très nombreux mais c'est le "temps des copains" . Et lorsque le 17 Août "Michou" BACONNET donne le premier départ tout est en place pour que cette journée soit une réussite .
Le programme des courses est identique à l'année précédente : 175/350/500 . SCHAAD , GAUCH , RAMADE et les MONNERET se sont rajoutés au plateau de 1951 . En 175 , GAURY et SCHAAD se passent et se repassent jusqu'à ce que la Nougier de SCHAAD rende l'âme laissant partir la Morini de GAURY vers la victoire . Très bonne performance de trois jeunes Villefranchois BONNAL/BOYER et ORCIBAL qui finissent classés . En 350 : bagarre Pierre MONNERET/COLLOT . En fin de parcours COLLOT prend tous les risques et se détache irrésistiblement . GAUCH finit troisième . En 500 nouveau duel Pierre MONNERET/COLLOT et il faut attendre le dernier virage pour voir sortir Pierre en tête . Ce deuxième circuit est une réussite et le Moto-Club Rouergat reçoit ses premiers éloges dans la presse spécialisée .
Une nouvelle étape est franchie en 1953 , en effet , le circuit est classé épreuve internationale et compte pour le championnat de France . Devant une telle progression , la Municipalité décide d'accorder une avance de trésorerie de 500 000 A.F. . A circuit exceptionnel , plateau exceptionnel telle sera jusqu'à la fin , la devise du M.C. Rouergat . Et c'est là que Jean ESPEILHAC donnera la pleine mesure de ses connaissances . Abonné à Motor-Cycling il va suivre durant toutes ces années l'éclosion de nouveaux talents détectés aux Antipodes et qui bien souvent viendront à Villefranche pour un premier contrat Européen . S'il est un de ces pilotes qui a marqué le coeur des Villefranchois , je pense que le Néo-Zélandais SIMPSON est bien celui-là au même titre que , plus tard , les deux frères HINTON . D'une témérité folle il fera le 16 Août 1953 le doublé 350/500 laissant Pierre MONNERET et GOFFIN se disputer les deuxième et troisième places dans les deux catégories . En 175 , belle victoire de BURGGRAF sur MV Augusta au dépens de l'Italien PAGANI ancien Champion du Monde . L'apport des étrangers fait faire un bond considérable au record du tour qui passe de 120 à 125 km/h .
Pour confirmer la très bonne presse de 1953 , l'année 1954 sera tant au niveau organisation qu'au niveau des pilotes toute à fait remarquable . Malgré de faibles moyens financiers le plateau est d'un des plus beaux de France . Jugez plutôt : trois Anglais BRUGIERE/DAVEY/HOUSELEY ; trois Néo-Zélandais : MAC-CLEARY/MURPHY/SIMPSON ; deux Australien : AHEARN/CAMPBELL ; le Belge GOFFIN et l'Irlandais MATHEWS . A celà il convient d'ajouter nos Français de service : COLLOT/BAYLE/P.MONNERET/INSERMINI/RAMADE/BOUIN/SECOUSSE . Et nos représentants vont faire mieux que se défendre servis , il est vrai , par un temps incertain et par la malchance qui accablera la nouvelle coqueluche de Villefranche le Néo-Zélandais SIMPSON .
La pluie qui tombait depuis le matin va cesser juste avant le départ des 175 au grand soulagement des organisateurs . Cette première course voit la très nette domination de BOUIN sur une Peugeot tandis que le Villefranchois BOYER prend une prometteuse sixième place . DULOUARD d'Agen chute sérieusement , il est relevé avec une fracture ouverte à l'épaule . En 350 , l'idole du public SIMPSON démarre en tête suivi de GOFFIN et de COLLOT . Mais sous la pluie qui recommence à tomber COLLOT très à l'aise saute GOFFIN puis SIMPSON et part irrésistiblement vers une belle victoire . La deuxième place va à GOFFIN qui devance SIMPSON handicapé par des ennuis de boîte . En 500 SIMPSON revanchard met le feu aux poudres . Seul COLLOT , malgré des problèmes de chaîne , limite la casse . A deux tours de l'arrivée , coup de théatre , SIMPSON ne passe pas : soupape grillée . COLLOT , toujours placé , réalise à Villefranche un superbe doublé qui le conforte en tête du championnat de France .
Oublions l'année 1955 qui aurait été , sous doute , d'une bonne cuvée sans le terrible accident du Mans . Suite à cette catastrophe les règlements se durcissent et lorsque arrive 1956 il faut tout repenser , reconstruire . Encore des heures de travail et toujours plus de frais . Mais qu'importe le circuit aura lieu !!!! Hélas SIMPSON "le Magnifique" ne sera pas au rendez-vous . Il s'est tué , là-bas chez lui , en Nouvelle-Zélande en faisant du hors-bord . Le public , un moment orphelin , va retrouver bien vite ses sensations passées . Faut dire qu'il va être gâté . Tout commence en 175 ou il y a un véritable déferlement de motos "officielles" : MV double ACT/Nougier/Mondial double ACT/Morini Rebello . La course est une lutte fratricide entre nos deux Villefranchois BONNAL et BOYER . Dans la dernière boucle BONNAL bat le record du tour et finit en vainqueur .
Dès le départ des 350 Eric HINTON/GRANTet COLLOT mettent le "turbo" et passent le premier tour dans cet ordre . A la fin du deuxième tour GRANT , en attaquant HINTON , fait une sortie de route et va s'écraser contre un mur . Le crâne fracturé GRANT , agé de 31 ans et qui venait de passer officiel Guzzi , est tué sur le coup . Eric HINTON déchaîné roule à tombeau ouvert, seul COLLOT arrive à s'accrocher , suivent un peu plus loin COOK et GAUCH qui finissent dans cet ordre . On retrouve au départ des 500 pratiquement les mêmes coureurs . Pierre MONNERET sur sa Giléra 4 prend un meilleur départ suivi de près par COLLOT/E.HINTON et COOK . Au cinquième tour , au St-Jean , devant les tribunes qui se lèvent d'enthousiasme E.HINTON d'une audace folle passe P.MONNERET à l'extérieur du virage . Dans la boucle qui suit E.HINTON , qui tourne à la limite des possibilités humaines , bat le record du tour . Derrière P.MONNERET s'accroche . Hélas , au septième tour , E.HINTON s'embarque dans le virage du Petit-Languedoc et va atterir dans la paille . P.MONNERET qui a maintenant la voie ouverte réduit légèrement l'allure alors que COLLOT et BRYEN sont au coude à coude pour une deuxième place qui reviendra au Français . E.HINTON , sérieusement contusionné , fera cependant à la fin de l'épreuve un tour d'honneur qui lui vaudra une délirante ovation de la foule . Exceptionnel d'après la presse , ce sixième circuit est malheureusement terni par l'accident mortel du Sud-Africain Edwin GRANT .
En 1957 le septième Grand Prix n'a pas connu le succès d'affluence attendu ; il est vrai que l'orage qui s'est abattu vers 13h30 sur Villefranche découragea bien du monde . Une nouveauté au programme : les 175 et des 500 se disputent en deux manches . En 175 tout le gratin Français est là , seul AGACHE manque à l'appel . Aux essais , BONNAL réussit le meilleur temps , Boyer n'a pu se qualifier : moteur explosé . La première manche verra la domination de ONDA . Dans la deuxième BONNAL tente sa chance . Il passe le premier tour avec trois secondes d'avance sur le favori ONDA . Au deuxième tour PISCAGLIA s'accroche dans un virage de la route basse avec FIQUIERE . Les vertèbres cervicales fracturées il sera évacué sur Toulouse . Il décèdera le 4 Novembre 1957 . Pendant ce temps ONDA bat le record du tour et réussit à passer BONNAL lequel n'insiste pas préférant gérer son avance sur PENSERA son principal rival au titre de Champion de France . Au classement général ONDA devance dans l'ordre BONNAL/BARONE et PANSERA .
Une seule manche de dix tours pour les 350 qui va être marquée par un duel MAC-CUTCHEON/KASSNER/COLLOTpuis par la remontée de E.HINTON et par sa formidable empoignade avec le Néo-Zélandais . Quatre fois le commandement change de mains et ce n'est que dans le dernier tour que MAC-CUTCHEON reprend un léger avantage pour finir en vainqueur . Dès le départ de la première manche des 500 on assiste a un duel KLINGER/COLLOT . Au quatrième tour E.HINTON réussit à s'intercaler entre les deux hommes mais KLINGER ne s'en laisse pas conter et reste en tête jusqu'à la ligne d'arrivée . Dans la deuxième manche l'Autrichien part à une allure folle suivit de près par E.HINTON et COLLOT, mais route basse KLINGER est désarçonné par sa machine . Cependant la bagarre continue de plus belle entre E.HINTON et COLLOT et ce n'est que dans le dernier tour que l'Australien fait la différence pour terminer en tête . Au classement des deux manches victoire de E.Hinton suivi de Collot . C'est un nouveau succès d'estime unanime mais attention : on a frôlé à plusieurs reprise la catastrophe !!!!
1958 . La fin de la belle aventure . C'en est aussi l'apothéose . Jugez plutôt : trois futurs Champion du Monde REDMAN/HOCKING/PHILLIS et pour leur tenir compagnie les frères HINTON/MAC-CUTCHEON/AHEARN/ANDERSON/DRIVER/HEMPLEMAN/KASSNER/PAWSON/SALT/TANNER/COLLOT/INSERMINI/DE POLO et LIGIER . Les 175 sont sorties du programme au profit des 500 Sport , une nouvelle catégorie de promotion qui va se courir en deux manches tout comme les 500 Inter . Dans la première manche c'est un cavalier seul de MAUBERT mais la deuxième est plus disputée et il faut attendre le dernier tour pour voir PABA finir en vainqueur . Au classement général c'est le Cannois MAUBERT qui termine premier . En 350 , une seule manche de dix tours et , dès le départ HOCKING s'envole poursuivi par H.HINTON/MAC-CUTCHEON et E.HINTON . Au segond tour les frères HINTON attaquent HOCKING et le passe . Derrière c'est la grande bagarre . En tête l'ordre ne change pas : H.HINTON (sur une Vélocette ex-officielle) mène détaché . Dans la dernière boucle MAC-CUTCHEON s'attaque à HOCKING et le passe . Victoire méritée de l'aîné des HINTON devant MAC-CUTCHEON et celui qui sera la révélation de la journée le Rhodésien HOCKING.
Dans la première manche des 500 Inter H.HINTON prend un départ fondroyant et laisse sur place ses adversaires . Au troisième tour J.ANDERSON s'installe en seconde position suivi de MAC-CUTCHEON tandis que E.HINTON attardé remonte régulièrement . Dans l'avant dernier tour MAC-CUTCHEON saute J.ANDERSON mais casse dans la route basse . J.ANDERSON termine deuxième et E.HINTON parachève le succès de son frère en finissant à la troisième place . Dans la seconde manche J.ANDERSON effectue un départ "canon" et se détache dès le premier tour de HOCKING/COLLOT et des frères HINTON . Au troisième tour J.ANDERSON qui tourne à la limite , rate le virage de Farrou et , prend l'échappatoire . HOCKING se retrouve en tête mais pas pour longtemps car J.ANDERSON déchaîné se remet en piste et refait son retard sur le Rodhésien qu'il va repasser dans la route basse . Derrière les HINTON remontent , ils passent COLLOT puis Harry va se lancer à la poursuite de HOCKING qui ne peut résister à un tel retour . Le dernier tour est sensationnel , Harry HINTON survolté bat le record absolu du circuit à la moyenne de 131,5 km/h . Mais il ne peut reprendre les huit secondes qui le séparent à l'arrivée de J.ANDERSON lequel par addition des temps remporte le classement général . Cette année encore , les HINTON ont fait le spectacle , bien aidés en cela par tous ces merveilleux pilotes venus du bout du Monde .
Lorsque le soir venu , le 3 Août 1958 , l'on range une nouvelle fois barrières et palissades , nul ne se doute encore que c'est pour la dernière fois . Mais l'équipe qui a fait "le Farrou" est fatiguée et s'est affaiblie au fil des départ de membres mutés sous d'autres cieux . Ne voyant pas venir une quelconque relève et n'espérant plus une aide substantielle le Comité d'Organisation votera , peu de temps après , sa propre mort . Aujourd'hui , que l'on connait l'Histoire , n'ayons point de regrets car de toute évidence le circuit aurait été interdit quelques années plus tard .
Michel Antraygues